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Jour 1 – Fernando Pessoa

Jour 1

Dans une cave à charbon devenue chambre sous un trottoir

Froideur, humidité

J’arrache les mots de cet intérieur turbulent. Désir d’écrire au nom d’un étranger, d’un anonyme. Inconnu et le restant, traversant les monts et les vents. Evasion de la page blanche et du crayon noir.
Un non-visage, aucun sexe representé, aucune identification possible, Juste l’anonymat du bloc de papier.

Et quelques mots de Pessoa:

‘Je vous écris aujourd’hui, poussé par un besoin sentimental, un désir aîgu et douloureux de vous parler.Comme on peut le déduire facilement je n’ai rien à vous dire.
Seulement ceci- que je me trouve aujourd’hui au fond d’une dépression sans fond. L’absurdité de l’expression parlera pour moi. 
 Je suis dans un de ces jours où je n’ai jamais d’avenir. Il n’y a pas qu’un présent immobile, encerclé d’un mur d’angoisse. La rive d’un fleuve n’est jamais, puisqu’elle se trouve en face, la rive de ce côté-ci; c’est là toute la raison de mes souffrances. Il est des bâteaux qui aborderont à bien des ports, mais aucun d’abordera à celui où la vie cesse de faire souffrir, et il n’est pas de quai où l’on puisse oublier. Tout cela s’est passé voici bien longtemps, mais ma tristesse est plus ancienne encore.
En ces jours de l’âme comme celui que je vis aujourd’hui, je sens, avec toute la conscience de mon
corps, combien je suis l’enfant douloureux malmené par la vie. On m’a mis dans un coin, où j’entends les autres jouer. Je sens dans mes mains le jouet cassé qu’on m’a donné, avec une ironie dérisoire. Aujourd’hui 14 Mars, à 9 heures 10 du soir, voilà toute la saveur, voilà toute la valeur de ma vie.

(….)

Tel est plus ou moins, mais sans style, mon état d’âme en ce moment. Je suis comme la veilleuse du Marin, les yeux me brûlent d’avoir pensé à pleurer. La vie me fait mal à petit bruit, à petites gorgées, par les interstices. Tout cela est imprimée en caractères tout petits, dans un livre dont la brochure se défait déjà.

(….)

Cela n’est pas vraiment la folie, mais la folie doit procurer un abandon à cela même dont on souffre, un plaisir astucieusement savouré, des cahots de l’âme – peu différents de ceux que j’éprouve maintenant. Sentir de quelle couleur cela peut-il être? Je vous serre contre moi, mille et mille fois, vôtre, toujours vôtre.

P:S: (…) J’ai bien rarement décrit aussi complètement mon psychisme, avec toutes ses facettes affectives et intellectuelles, avec toute son hystéro-neurasthénie fondamentale, avec toutes ces interactions et carrefours dans la conscience de soi-même que sont sa caractéristique si marquante….
Vous trouverez que j’ai raison, n’est-ce pas?

Fernando Pessoa – Livre de l’Intranquilité
Editions Christian Bourgois 1988

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